UN CAFÉ AVEC Vincent Deniard, comédien

 

Crédit : kaarl-photography.com

Crédit : kaarl-photography.com

Le rendez-vous est pris place de la Madeleine par une belle soirée de juin. J’ai le plaisir ce soir-là de rencontrer le comédien Vincent Deniard, qui s’est illustré aussi bien au théâtre (Sunderland, Le Porteur d’histoire, Le Temps des suricates …) qu’au cinéma ou à la télévision. D’une courtoisie extrême, Vincent Deniard m’a relaté son parcours et livré ses réflexions sur son métier et ses aspirations. Dans une brasserie tranquille de la rue Duphot, rencontre chaleureuse avec un comédien authentique, amoureux de son métier et dont l’unique moteur est le plaisir de jouer. Encore et encore.

Bonjour Vincent, devenir comédien, c’était un « rêve de gosse » ? 

Vincent Deniard : Absolument ! Le déclic a eu lieu à l’âge de 12 ans : notre professeur de musique de 4ème avait monté une adaptation de West Side Story pour la fête de fin d’année du collège et m’avait confié le rôle de Tony, le personnage principal masculin. Et à ce moment précis, j’ai eu une sorte de révélation, je suis tombé amoureux du théâtre, du jeu, des costumes, des applaudissements. J’ai commencé à m’intéresser à tout ce qui touchait à l’art dramatique, j’ai lu Stanislavski, je me suis renseigné sur les formations, les écoles, le Conservatoire, etc… A 15 ans, j’ai fait mon premier stage d’été au cours Florent. Puis, après une année d’hypokhâgne au lycée Champollion de Grenoble, je me suis installé à Paris et j’ai  intégré le Cours Florent à 18 ans.

Pouvez-vous nous décrire les grandes étapes de votre parcours ?

V.D. : Après la Classe Libre du Cours Florent en 2001, j’ai eu assez vite quelques expériences de tournages, de pièces sans pour autant vivre de mon métier, comme c’est souvent le cas. Et puis en 2003, j’ai eu la chance d’être choisi par le réalisateur Cédric Kahn comme second rôle masculin dans son film Feux rouges avec Jean-Pierre Darroussin et Carole Bouquet. Cela aurait pu être un tremplin mais le film n’a pas marché, et je suis reparti presque de zéro. J’ai continué à évoluer dans le métier, à rencontrer des gens, et petit à petit j’ai commencé à faire beaucoup de théâtre, dans des projets très différents. En 2004, je joue le rôle d’un garde du corps un peu cinglé dans Si j’étais diplomate d’Alain Sachs au théâtre Tristan Bernard ; deux ans plus tard, je travaille avec Joël Jouanneau pour Claire en affaires à la Cité Internationale. Je joue aussi dans des spectacles classiques ou historiques : Le Cid au Silvia Monfort ou Ravaillac dans le Henri IV de Daniel Colas en 2010 aux Mathurins. 2011 est une année importante pour moi puisque je suis choisi par Stéphane Hillel pour jouer au Petit Théâtre de Paris le rôle de Gaven, le hooligan au grand cœur, dans Sunderland, la pièce anglaise de l’auteur français Clément Koch. Une très belle aventure : j’ai joué ce spectacle presque 300 fois, de septembre 2011 à juin 2013 ! Dans tous les cas, ce que j’aime c’est naviguer entre plusieurs univers, passer d’un genre théâtral à un autre, passer également du théâtre à l’image et ne pas me cantonner à un type de rôle ou à un répertoire. Cela fait partie des raisons pour lesquelles je fais ce métier.

Le Porteur d'histoire Crédit : Alejandro Guerrero

Le Porteur d’histoire
Crédit : Alejandro Guerrero

Un mot sur une autre belle aventure : Le Porteur d’histoire. Comment êtes-vous arrivé sur le projet ?

V.D. : C’est moi qui suis allé au-devant d’Alexis Michalik (ndlr : l’auteur et metteur en scène). A l’époque où je jouais Sunderland, je ne le connaissais pas mais je l’avais invité à une représentation. Il était venu et avait beaucoup apprécié. Ensuite, j’ai eu la chance d’aller voir Le Porteur d’histoire à sa création au Studio des Champs-Élysées en février 2013. J’avais adoré le spectacle et je le lui ai écrit, tout simplement. Peu de temps après, par chance, il cherchait une alternance pour le rôle et j’ai été engagé.

Quelles ont été les retombées vous concernant ?

V.D. : C’est un grand plaisir de jouer Le Porteur car c’est un spectacle écrit pour les comédiens, contrairement à beaucoup d’autres pièces qui ont tendance à davantage faire la part belle aux metteurs en scène. Avec Alexis Michalik, ce n’est pas le cas : c’est d’abord un comédien qui écrit pour des comédiens. Il ne supporte pas par exemple l’idée qu’un acteur attende trente minutes en coulisses avant d’entrer scène. Dans cette pièce, on est tous sur le plateau pendant 1 heure 30 quasiment non stop ! On passe d’un personnage à un autre en changeant uniquement de costume, en ajoutant un accessoire, une moustache, une casquette, que sais-je… Personnellement, je me régale, d’autant que ma partition est celle qui contient le plus de personnages différents. J’aime ce défi, ce tour de force !

Comment expliquez-vous le succès que rencontre la pièce depuis 2013 ?

V.D. : Je crois que cela tient à quelque chose de très simple, je dirais même de primaire, d’instinctif, d’essentiel. On est transporté par une belle histoire qui se lit comme un conte, même si par moments il s’agit une histoire complexe. On ne se pose pas de questions, on se laisse seulement emporter ! C’est une écriture qui ne tombe pas dans les travers de notre époque que sont le cynisme ou l’ironie permanente. Et chez la grande majorité des spectateurs, l’émerveillement fonctionne à plein. On les voit à la fin du spectacle, tout le monde retrouve ses yeux d’enfant ! C’est la première pièce où  je constate que des spectateurs viennent, reviennent,  puis re-reviennent! J’ai même rencontré un jour un monsieur qui l’avait vue vingt fois (rire) ! C’est un spectacle qui a ses vrais fans et c’est une chose rare ! Aujourd’hui, la pièce est jouée simultanément à Paris, en province, et dans la francophonie (Tahiti, Liban…)

Vincent Deniard et Marc Citti dans Le Temps des suricates

Vincent Deniard et Marc Citti dans Le Temps des suricates

Autre beau succès, Le Temps des suricates que vous avez joué cet hiver aux Béliers Parisiens puis au Ciné 13. Comment est née cette pièce et votre collaboration avec l’auteur et votre partenaire sur scène, Marc Citti ?

V.D. : Marc et moi faisions partie de la seconde équipe du Porteur en septembre 2013. On a joué la pièce ensemble pendant plusieurs mois. Et puis un jour, il est venu avec un texte qu’il m’a demandé de lire. A l’époque, la pièce s’appelait Oyonnax blues, et j’ai adoré. C’est un texte par moments très autobiographique, qui nous montre deux acteurs dans leur loge pendant une représentation d’Hamlet, et qui nous raconte leurs frustrations et leurs espoirs. La pièce transpire d’une grande honnêteté, ce qui se dit sur le métier est très vrai, parfois cruel. On a eu quelques collègues comédiens qui sont venus voir la pièce et qui ont pu ressentir les choses de façon violente parce que c’est dur par moments ce qui se dit sur le métier. Mais en même temps, c’est très drôle ! Il y a une grande lumière, une grande force dans les personnages, à travers leurs espérances et leurs rêves d’enfants. Et c’est à mon avis quelque chose de très important dans notre métier. Continuer à avoir les yeux qui brillent,  garder sa part d’enfance.

Et quel est votre regard sur le sujet de la pièce, la condition parfois ingrate, cruelle du métier de comédien ?

V.D. : Edouard mon personnage n’est pas un mauvais comédien, c’est un comédien qui ne s’est pas entendu avec son metteur en scène, comme cela arrive parfois, et qui est en doute, en souffrance, en perte de confiance. Cette relation metteur en scène-comédien est précieuse, il faut que ça se passe bien. Personnellement, je ne peux pas travailler dans le conflit, j’ai besoin de travailler dans une bienveillance, une générosité voire un sorte de douceur. La grande différence entre Edouard et moi, c’est qu’il n’est pas dans le plaisir. Moi, je fais ce métier tout simplement parce que c’est mon plaisir de jouer sur scène, de jouer devant une caméra, de réinventer, de revisiter un texte chaque soir. Vous savez, je crois que si on n’aime pas profondément ce que l’on fait, on peut très vite être malheureux et frustré dans ce métier, se dire qu’on n’est pas là où l’on devrait être. C’est quelque chose qui peut être douloureux. Dieu merci, je n’en suis pas du tout là ! (rires)  

Il y a une scène très drôle dans Le Temps des suricates dans laquelle vous manquez votre entrée sur scène. Et dans la vie, jamais de couac sur scène ?

V.D. : Non très rarement, heureusement ! Je suis quelqu’un de plutôt anxieux, du coup très à l’écoute de ce qui se passe sur le plateau. Mais il est vrai qu’il peut arriver toutes sortes de mini-incidents au théâtre, comme ces trous de texte qui restent toujours quelque chose de terrifiant même après des années de métier. Dans Le Porteur d’histoire par exemple, j’ai un long monologue de sept minutes face public, pendant lequel je raconte une histoire plutôt très complexe à mon partenaire, que je ne vois d’ailleurs pas. Et bien même après 300 représentations, ce moment du spectacle reste toujours un point d’orgue, un moment périlleux !

Henri IV

Henri IV

Vous avez le trac avant d’entrer en scène ?

V.D. : Je suis toujours un peu fébrile oui…. D’ailleurs dans ce domaine je ne crois pas du tout à la citation célèbre qu’on attribue à Sarah Bernard qui, en réponse à une jeune comédienne qui se targuait de ne pas avoir le trac, lui aurait répondu « Vous verrez, ca viendra avec le talent ». Je pense au contraire qu’il faut tendre à atteindre une sorte de graal qui serait de ne plus du tout avoir le trac. Certains soirs j’y parviens -plus ou moins- ce qui est le signe d’une meilleure détente, d’une plus grande disponibilité avec les partenaires et le public. Avec le temps et l’expérience j’ai appris à mieux me détendre, mais la disparition complète du trac reste, comme je vous le disais, un graal absolu.

Quelles sont les qualités indispensables pour faire ce métier aujourd’hui ? Quels conseils donneriez-vous à un jeune comédien ?

V.D. : Je conseillerais de prendre des cours, mais de ne surtout pas attendre la fin de sa formation pour travailler, pour rencontrer des gens, pour monter ses projets. Parce que c’est un métier qui s’apprend en travaillant. Moi, je n’ai pas appris mon métier à l’école, je l’ai appris en jouant des spectacles 100, 200, 300 fois. Je l’ai appris en tournant dans des court-métrages, des téléfilms. C’est un métier qui requiert une certaine souplesse émotionnelle, physique même. Ne pas avoir peur d’être sur tous les fronts, de sortir, d’aller au théâtre, de voir ce qui se fait sur Internet parce qu’il y a des personnes qui y arrivent par ce biais. Et à un moment donné, faire un choix, savoir vers quelle « famille », quel genre se diriger par rapport à ses goûts personnels. C’est un métier où l’on apprend à se connaître tout simplement. Même si je n’aime pas me cantonner à un répertoire en particulier comme je l’expliquais plus tôt, mais je vois ce qui me correspond le plus avec les années. D’abord avec mon physique (NDLR : 1m98 pour 130 kilos) qui est à la fois une chance et un handicap, quelque chose qui me distingue, quelque chose qui me permet de donner une couleur à mes personnages. Je peux en jouer. Comme dans Le Temps des suricates, là je suis le grand géant qu’on ne voit pas, parce qu’Edouard n’assume pas son corps. C’est un métier qui demande d’être très connecté à son enfance, de garder un grain de folie, une certaine fantaisie et d’être dans une disponibilité d’esprit permanente.

Vous jouez également au cinéma et à la télévision. A choisir, que préférez-vous entre théâtre, cinéma ou télévision ?

V.D. : Je ne sais pas si je pourrais me passer de l’un ou de l’autre car j’aime la complémentarité ! J’ai la chance depuis quelques années de pouvoir naviguer entre théâtre et tournages. J’ai joué d’ailleurs récemment dans une série télévisée – Le Lac – avec un réalisateur que j’aime beaucoup, Jérôme Cornuau, qui m’a confié un très beau rôle. En ce moment, j’ai davantage envie de tourner car ces dernières années ont été très riches au théâtre.

Sunderland Crédit Pascal Gely

Sunderland
Crédit Pascal Gely

Quelles différences entre le jeu au théâtre et le jeu au cinéma ou à la télévision ?  

V.D. : Difficile à dire car c’est le même métier au final : on joue un texte, une situation, qu’on doit rendre vivants, et humains du mieux possible. Mais aujourd’hui, au cinéma ou à la télévision, on n’a matériellement plus le temps de faire 10, 15, 20 prises, on doit être bon tout de suite, être dans une immédiateté. J’aime cet aspect là du travail, se jeter à l’eau tout de suite. Au théâtre, certes, on travaille « sans filet » mais on a le temps pendant les semaines de répétitions de travailler un personnage et de continuer à le « polir » sur scène chaque soir. Les deux plaisirs sont différents.

Poursuivez-vous un objectif de carrière aujourd’hui ?

V.D. : Non, pas vraiment même si je suis quelqu’un d’ambitieux. Mais l’ambition dans ce métier, c’est compliqué car on est toujours dépendant du bon vouloir des autres.  Mon souhait finalement ce serait tout simplement de rester dans ce métier, ce qui n’est déjà pas simple, de continuer à en vivre, de continuer à faire de belles rencontres, de jouer des rôles de plus en plus complexes qui ne soient pas des utilités, des rôles où mon physique ne soit pas le critère déterminant.

Sinon, avez-vous le temps d’aller au théâtre ? Quel spectateur êtes-vous ?

V.D. : Je dois vous avouer que je vais peu au théâtre ! D’abord parce qu’avec mon gabarit on est mieux sur scène que dans la salle ! (rires) Et surtout quand on joue soi-même beaucoup, c’est très compliqué. Mais quand je peux, je vais voir des amis jouer. J’ai vu deux spectacles cette saison qui m’ont beaucoup plu : La Vénus à la fourrure avec Marie Gillain et Nicolas Briançon et The Servant avec mon camarade Maxime d’Aboville qui a reçu le Molière du meilleur comédien cette année. On s’est connu avec Maxime sur la pièce Henri IV, dans laquelle je jouais Ravaillac et Maxime le prince de Condé. On n’avait pas de scène ensemble mais on a sympathisé. J’ai vu également Des Fleurs pour Algernon avec Grégory Gadebois, un comédien que j’admire beaucoup pour son talent et son parcours. J’ai un souvenir de lui lorsque je passais le concours du Conservatoire vers 22/23 ans. Pendant que j’attendais mon tour sur le trottoir, j’ai vu arriver ce type en moto, un peu enrobé avec des cheveux longs et je me suis tout de suite dit « Lui il en impose ! » et c’était Gadebois !

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Le temps des suricates

Avez-vous un rêve théâtral ?

V.D. : J’aurais beaucoup aimé travailler avec Patrice Chéreau… Marc Citti m’en a beaucoup parlé, il vient d’ailleurs de publier un livre consacré à ses années avec Chéreau (NDLR : Les Enfants de Chéreau, ed. Actes Sud). J’adorerais jouer un jour aux Bouffes du Nord. Pour ce qui est des rôles, j’aime depuis toujours Cyrano de Bergerac, énorme texte, énorme rôle, j’adore le film avec Depardieu. J’aime aussi beaucoup le rôle de Stanley dans Un Tramway nommé désir. D’ailleurs l’univers de Tennessee Williams, cette moiteur du sud des Etats-Unis, c’est un répertoire que j’aimerais beaucoup explorer. On me parle aussi souvent du personnage de Lennie dans Des Souris et des hommes. On ne sait jamais, peut-être qu’un jour une autre adaptation du texte de Steinbeck se montera…

Quels sont vos projets, vos actualités ?

V.D. : Côté théâtre, nous reprenons avec Marc Citti Le Temps des Suricates au Festival Off d’Avignon du 4 au 26 juillet à 12h20 au Théâtre des Béliers. Sinon, je continue Le Porteur d’Histoire, toujours en alternance jusqu’en décembre 2015 au Studio des Champs-Elysées. Côté télévision, la série Le Lac avec Barbara Schulz sera bientôt diffusée sur Tf1. Et j’ai participé à un premier long métrage aux côtés de Melvil Poupaud, Le Grand jeu, qui sortira en fin d’année. Et puis je lis des textes, je passe des auditions, on verra bien !

Merci Vincent ! Et pour conclure, quel est votre « mot théâtre » préféré ?

V.D. : Eh bien excusez-moi Elisabeth mais je vais vous dire « merde » ! (rires) Tout simplement parce que c’est ce qu’on se dit tous les soirs avec les partenaires avant de rentrer sur scène, et pour moi c’est un très joli mot car c’est comme « action » ou « moteur » au cinéma : on est sur ligne de départ et c’est parti !

Propos recueillis par Elisabeth Donetti 

Pour en savoir plus

http://www.vincentdeniard.com

Le Temps des suricates au Festival d’Avignon du 4 au 26 juillet 2015

Le Porteur d’histoire au Studio des Champs-Élysées jusqu’en décembre 2015

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